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[La chronique de Recherches internationales] « Le pouvoir est au bout du fusil »

OUAGANEWS.NET vous propose cette chronique réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.

Dans les années qui suivirent l’effondrement du bloc soviétique, la presse se fit l’écho de quelques propos de commentateurs, analystes, journalistes voire hommes politiques exprimant une certaine nostalgie du temps de la guerre froide.

Celle-ci représentant, certes avec ses tensions ou frictions, une époque où la scène mondiale était parfaitement décodable, prévisible et encadrée par une grammaire des relations internationales totalement maîtrisée par les deux Grands qui avaient su construire une architecture de la sécurité internationale compatible avec une course aux armements contrôlée par des accords et des traités qui évitaient les excès, entretenaient la confiance et permettaient de justifier de sa bonne foi.

Lors de la rencontre entre Poutine et Trump sur le sol de l’Alaska – qui s’est plutôt soldée par un échec pour amorcer un retour à la paix en Ukraine, mais par un succès de réhabilitation diplomatique pour Poutine – on assista à une petite provocation diplomatique de la part de Sergueï Lavroff. Le ministre des affaires étrangères russe afficha ostensiblement un tricot bariolé du sigle CCCP (acronyme en cyrillique de l’ex-Union soviétique), façon de rappeler le bon temps où les deux pays régentaient et contrôlaient le monde à eux seuls sans avoir à se soucier d’autres puissances. La délégation américaine n’a pas pipé mot, façon de faire savoir qu’elle aussi adhérait à l’idée que c’était le bon temps. Nostalgie partagée si l’on en croit le succès vestimentaire de ce tricot en Russie et bien au-delà.

À l’époque de la guerre froide, l’idée dominait que tout conflit, à l’âge nucléaire, était devenu impossible entre grandes puissances nucléaires, car ne pouvant aboutir qu’à une destruction mutuelle, mais qu’il restait possible de grignoter des influences dans le reste du monde. C’est ainsi qu’on vît surgir les concepts de « stratégie oblique » ou de « conflit de basse intensité » pour déstabiliser tel ou tel pays et y planter un drapeau pensant faire avancer ou reculer la révolution mondiale. Le Tiers monde en fut le principal terrain. La zone de l’affrontement s’était déplacée.

À partir des années 90, la multiplication des conflits devint manifeste et surtout se rapprocha des pays du centre notamment avec la guerre de l’Otan contre la Serbie, lui arrachant le Kosovo. Les États-Unis s’en prirent à l’Irak, divisant l’Otan et l’Europe. Aujourd’hui deux conflits mondialisés, au cœur de l’Europe et au Moyen-Orient traversent la planète autour de polarisations différentes et mettent à mal la liaison transatlantique. On ne parle plus de « stratégie oblique » ou de « conflit de basse intensité », mais de « guerre hybride ».

Ce qui signifie que ce sont des grandes puissances qui s’affrontent mais par des moyens non-militaires dont l’éventail est infini de la cyber-attaque à la désinformation en passant par le sabotage ou la déstabilisation politique. Mais la conflictualité n’a pas baissé, bien au contraire. Les armements se modernisent et changent les réalités de la guerre qui devient un champ d’expérimentation en temps réel permettant aux États-majors de s’adapter en continu.

Les destructions s’accroissent, plus vite que le nombre de morts dont les tristes records (Shoah et massacre des Tutsis) n’ont pas forcément mobilisé les armes les plus performantes. La guerre civile du Rwanda, avec de simples machettes, armes de poing et grenades a pu faire 800.000 victimes en trois mois. Malgré leur horreur les guerres d’Ukraine et de Gaza, n’ont pas atteint un tel chiffre en trois ans.

Selon l’International Crisis Group, une douzaine de conflits seraient aujourd’hui en cours, prenant plusieurs visages. Le Sipri, lui en dénombre une cinquantaine dont quatre majeurs par l’importance des morts générés : les guerres civiles au Myanmar et au Soudan, les guerres entre Israël et le Hamas et entre la Russie et l’Ukraine. Les deux dernières sont déjà largement mondialisées. Faut-il s’étonner si D. Trump s’attribue le mérite d’en avoir résolu six, se comportant chaque fois en prédateurs à la recherche de ressources ou de contrats léonins. On peut en douter. Mais ce qui est révélateur c’est que le choix de ce créneau médiatique rencontre une préoccupation grandissante qui travaille les populations, nourries tout à la fois d’un mélange de crainte et d’aspiration à la paix.

Cette conflictualité croissante s’accompagne d’un développement des Sociétés Militaires Privées (SMP), phénomène qui gangrène la planète et participe à l’embauche de mercenaires – aujourd’hui appelés contractors, ce qui fait plus chic – qui s’organise au travers de réseaux internationaux de recrutement en marge de la légalité.

Ces forces participent à l’accompagnement d’armées régulières qu’elles évitent de déployer, permettent de réduire le coût politique ou diplomatique d’une intervention, d’en garantir même le déni, et assurent des fonctions d’entraînement voire d’engagements directs. Les activités auparavant plutôt honteuses – comme marchands de canons – deviennent aujourd’hui des pratiques valorisées, encouragées, de même que la production massive d’armements.

Le monde semble prêt pour un nouveau paradigme, celui d’un chaos généralisé. Face à ce scénario un indice qui pourrait faire sourire est révélateur, celui de l’essor des ventes de bunkers ou d’abris en kit. Cette violence globalisée s’accompagne d’un même phénomène qui traverse nos sociétés, c’est celui que l’on désigne désormais sous le terme de violence désinhibée qui marque de nouvelles générations et qui est la marque de la prolifération de l’économie maffieuse se nourrissant de tous les trafics et n’hésitant pas à franchir de nouveaux paliers dans la recherche de gains rapides.

La contrepartie se traduit par une économie massive de la corruption et un recul de la fonction protectrice de l’État. L’ONU confirme que la criminalité organisée et la violence des bandes criminelles font plus de victimes que les conflits armés, les pays du sud étant plus fortement atteints.

Les conflits qui traversent le monde présentent un trait commun largement partagé. Ils piétinent le droit international et le droit international humanitaire qui se sont littéralement effondrés devant les formes prises par les deux conflits majeurs en cours, entre Israël et les Palestiniens ou celui qui oppose Russie et Otan sur le territoire ukrainien.

Ces deux conflits qui semblent loin d’être terminés, sans compromis à portée de mains, confirment cet effondrement qui en vient même à être théorisé par l’usage du concept flou de guerre préventive qui supplante désormais celui de légitime défense parfaitement codifié celui-là. On nom de ce principe il devient possible de déclencher une guerre en alléguant que l’on se sentait menacé. La « guerre des douze jours » déclenchée par Israël appuyé par les États-Unis contre l’Iran le fut au nom de ce principe entériné par la France sous le label  juridiquement inexistant de « droit de se défendre ».

Les instances juridiques internationales comme la Cour pénale internationale (CPI) qui juge les hommes ou la Cour internationale de justice (CIJ) qui juge les États et dont le rôle est de révéler les multiples et graves violations du droit, toutes deux saisies non sans courage par certains États, se sont exprimées avec vigueur et netteté. Aujourd’hui elles sont l’objet d’une vindicte suscitée pas les États-Unis qui s’en prennent personnellement aux dirigeants de ces institutions. Défendre ce dernier filet de sécurité est une urgence absolue.

Cette violence désinhibitrice qui parcourt la planète et nos sociétés nous rappelle qu’après la Longue marche Mao affirmait en 1938 que « le pouvoir est au bout du fusil ». Le propos reste vrai et a été maintes fois illustré du Vietnam à l’Afghanistan en passant par le Sahel, le Moyen-Orient ou l’Ukraine. Mais il nuançait son propos en ajoutant « le parti commande aux fusils ». La première remarque reste vraie. Il n’est pas certain que la seconde le soit encore.

Michel Rogalski

Directeur de la revue Recherches internationales

Site : http://www.recherches-internationales.fr/

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