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Liberté de la presse : la menace économique que personne ne veut voir

Loin des seules atteintes physiques ou politiques, le Classement 2025 de Reporters sans frontières révèle une vérité plus silencieuse mais tout aussi brutale. La liberté de la presse vacille désormais sous le poids des crises économiques. De Bamako à New York, de Gaza à Paris, le journalisme ne meurt pas seulement sous les balles il s’effondre aussi sous les déficits.

Ceux qui pensaient que la liberté de la presse était menacée seulement sous les tropiques ou derrière les rideaux opaques des régimes militaires de l’AES (Mali, Burkina Faso, Niger) devraient regarder ailleurs. Plus précisément, partout. En 2025, pour la première fois, le classement mondial de Reporters sans frontières (RSF) tire une sonnette d’alarme qui transcende les frontières. Non, ce ne sont pas les seuls fusils qui musèlent les journalistes. Ce sont aussi les bilans comptables. Le danger économique, silencieux mais ravageur, est désormais la principale cause de déclin de la liberté de la presse dans le monde.

Le journalisme en mode survie

Certes, les menaces physiques continuent d’exister. À Gaza, près de 200 journalistes ont été tués. En Afghanistan, en Iran, au Nicaragua ou en Birmanie, les médias sont broyés par des appareils sécuritaires sans état d’âme. Mais RSF révèle un phénomène plus global, plus systémique : l’économie de l’information est en train de s’effondrer. Dans 160 pays sur les 180 évalués, les médias ne parviennent plus à atteindre une stabilité financière. Près d’un tiers des États recensent des fermetures régulières de rédactions, parfois définitives. Aux États-Unis, où le second mandat de Donald Trump est en passe d’institutionnaliser la défiance contre les médias, des régions entières deviennent des déserts d’information.

Les chiffres sont là, froids et impitoyables. Dans 46 pays, les médias sont aux mains d’un oligopole privé ou d’un monopole d’État. En France même, pays classé 25e, une poignée de milliardaires contrôle une part significative de la presse nationale. Et dans les autres pays dits « matures « , la concentration se conjugue à la pression des plateformes numériques, qui captent la majorité des recettes publicitaires, laissant les journaux d’investigation sur le carreau.

 L’Afrique aussi, mais pas seulement

Sur le continent africain, le diagnostic est tout aussi sévère. Le score économique des médias s’est dégradé dans 80 % des pays subsahariens. Le Mali (119e, -5), le Burkina Faso (105e, -19) et le Cameroun (131e) voient leur paysage médiatique se refermer, dans un mélange d’autocensure, de précarité éditoriale et de clientélisme économique. À Tunis, en pleine crise politique, les médias indépendants sont pris dans l’étau d’une asphyxie budgétaire.

Mais il serait faux voire malhonnête  de faire de cette réalité un apanage africain. La grande défaite de 2025, c’est que le monde entier recule, et que la presse paie l’addition d’une économie numérique dérégulée, d’États désengagés, et d’un public de plus en plus désinformé.

Quand la presse devient un luxe

La directrice éditoriale de RSF, Anne Bocandé, résume bien l’équation : « Sans indépendance économique, pas de presse libre. » Or, aujourd’hui, produire de l’information fiable coûte cher — et rapporte peu. Résultat : les rédactions s’alignent sur les algorithmes, sacrifient la rigueur sur l’autel du clic, ou se vendent — corps et âme — aux annonceurs, aux actionnaires ou aux États.

Et lorsque les plateformes – Facebook, YouTube, TikTok – deviennent les principaux vecteurs d’information, mais sans régulation, sans déontologie, et souvent sans vérité, le journalisme devient inutile. Pis, suspect.

Une carte du monde qui rougit

Le score moyen mondial tombe pour la première fois en dessous du seuil de 55 points. La liberté de la presse est désormais en “situation difficile” à l’échelle planétaire. Plus de 112 pays reculent dans le classement. Dans 42 pays représentant la moitié de la population mondiale, elle est jugée “très grave”. Le journalisme s’y pratique au péril de sa vie — quand il existe encore.

L’Europe ? Elle résiste, mais s’effrite. L’Amérique ? Elle régresse, parfois brutalement. L’Afrique ? Elle oscille entre résilience et résignation. La liberté de la presse n’a plus de bastion.

L’enjeu ? Plus vital que jamais

Ce que révèle RSF cette année, c’est une vérité que beaucoup feignent d’ignorer. La liberté d’informer est un service public, pas un produit de luxe. Si les États ne garantissent pas des conditions de viabilité aux rédactions, ils seront bientôt seuls à parler. Si les citoyens ne défendent pas leur droit à une information indépendante, ils seront condamnés à la propagande, ou au vide.

Et le pire, dans cette lente érosion, c’est qu’elle ne fait pas de bruit. C’est une extinction douce. Une lumière qui vacille. Un pluralisme qui meurt sans martyr. Sans déclaration de guerre. Sans fracas.

Juste… un silence de plus.

 A.D

Sahel Tribune

Maliweb.net

 

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