Après les propos xénophobes et racistes du président tunisien Kaïs Saïed, à l’encontre des migrants d’Afrique subsaharienne qui ont déclenché une série d’agressions contre ces derniers, bon nombre de pays au sud du Sahara ont rapatrié leurs ressortissants. D’autres comme le Sénégal sont sur le point d’en faire autant.
Cette sortie malencontreuse a non seulement jeté un discrédit sur le chef de l’Etat, mais aussi écorné l’image de la Tunisie qui jusque-là, est connue pour son ouverture. Kaïs Saïed, empêtré depuis plus d’une année dans une crise sociopolitique multidimensionnelle qui menace son pouvoir, a trouvé un alibi pour détourner l’opinion, en s’en prenant aux migrants subsahariens qui, pour la plupart, transitent par son pays pour atteindre l’Europe.
C’est bien dommage que l’on masque sa propre incurie patente devant son incapacité à gouverner le pays en prenant de tels raccourcis nauséeux. Dire que l’immigration est une « entreprise criminelle » dont l’objectif est de « changer la composition démographique » de la population tunisienne, c’est faire preuve d’une myopie déconcertante, d’autant plus que les migrants d’Afrique subsaharienne ne représentent qu’une infime portion de la population tunisienne.
L’on peut se réjouir que certains pays subsahariens aient volé au secours de leurs compatriotes livrés à des agressions tous azimuts. En les rapatriant au bercail, ce sont leur vie qui a été préservée. Mais, il faut aller au-delà de cette simple opération de sauvetage qui a été utilisée par certains comme un coup de communication. Il s’agit pour les autorités de mettre à la disposition des rapatriés des moyens qui leur permettent de réussir leur insertion socioprofessionnelle chez eux.
Ceux qui étaient en situation régulière et les autres rapatriés doivent être traités avec la plus grande attention. C’est à ce titre que leur rapatriement aura un véritable sens. Les faire venir au pays sans penser à des initiatives qui pourraient les aider à assurer leur dignité, ce serait les livrer aux railleries de leur entourage. Leur offrir des possibilités de travailler et gagner leur vie est donc une nécessité absolue à laquelle doivent répondre les dirigeants.
Au-delà de la sortie malheureuse et déplorable du président tunisien, il y a lieu de s’interroger sur l’émigration clandestine qui arrache bon nombre de jeunes de l’Afrique au sud du Sahara à leur pays. Depuis plusieurs années, plusieurs centaines de migrants africains ont été engloutis par la Méditerranée, parce qu’ils tentaient désespérément de regagner l’Europe.
Le plus souvent, quand de tels drames surviennent, les dirigeants africains restent littéralement muets. Ils font comme s’ils n’avaient rien à voir avec le désespoir qui pousse certains de leurs compatriotes à s’accrocher à des embarcations de fortune pour « se chercher » ailleurs.
Pourquoi tant de silence sur la question de l’émigration clandestine ? Tout en condamnant les propos de Kaïs Saïed, il faut s’interroger aussi sur la responsabilité des dirigeants africains sur l’alternative qu’ils proposent pour contrer cette saignée de leur jeunesse vers un horizon incertain.
La mal gouvernance, le clientélisme et l’absence de vision des gouvernants ont fini par anéantir l’espoir chez bon nombre de jeunes Africains qui croient avec certitude que les prairies sont plus vertes et ensoleillées ailleurs. Cette situation désolante que vivent les subsahariens en Tunisie, au-delà des actions ponctuelles de secours, doit susciter une véritable prise de conscience de la question migratoire.
Il importe de développer une politique de l’emploi en milieu rural comme urbain pour pallier un tant soit peu, ce « désir généralisé de désertion », qui obsède bon nombre de jeunes. Il faut ressusciter l’espoir là où les gens se sentent abandonnés, livrés à eux-mêmes, sans moyens de transformer leur quotidien. C’est en posant les bases d’une réflexion féconde sur les causes de l’émigration clandestine sous nos latitudes, que l’on aura véritablement pris conscience de l’ampleur du problème.
Ahmadou Bayala/OuagaNews