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Nouveau départ pour le Burkina : repartir ensemble pour ne plus se tromper de chemin

L’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, qui était considérée comme une occasion pour le Burkina Faso de rompre avec la mauvaise gouvernance, n’a pas entraîné un changement de gouvernance au Burkina. L’esprit de l’insurrection tant évoqué sous la Transition par les insurgés se retrouvait plus dans le verbe que les actes posés par ses défenseurs.

L’Insurrection a été trahie et pervertie par la poursuite des intérêts égoïstes, à tel point qu’on serait tenté de dire qu’il n’y a jamais eu d’esprit de l’Insurrection, mais « des esprits de l’Insurrection ». Le régime de Roch Marc Christian Kaboré, qui est arrivé au pouvoir à la faveur des élections de novembre 2015, considérées par bon nombre d’observateurs comme étant libres et transparentes, a progressivement assombri l’horizon d’un Burkina nouveau.

En effet, confronté à la crise sécuritaire dès l’entame de son premier mandat, le régime Kaboré, malgré sa volonté affichée d’apporter un changement véritable, n’a pas su se défaire des mauvaises pratiques de gouvernance tant décriées dans le régime de Blaise Compaoré.

C’est dans un contexte de grave crise sécuritaire et de résultats mitigés du Plan national de développement économique et social (PNDES) que Roch Marc Christian Kaboré a été réélu pour son deuxième mandat au terme d’une campagne électorale marquée par une recrudescence du clientélisme politique et de la corruption électorale selon plusieurs observateurs.

C’est avec une majorité confortable que le président Kaboré a entamé son deuxième mandant en marquant sa volonté de parvenir à une réconciliation entre Burkinabè, gage d’une unité nationale et d’une cohésion sociale indispensables dans la lutte contre le terrorisme.

La dégradation continue de la situation sécuritaire finira par avoir raison du régime Kaboré le 23 janvier 2022, malgré l’ultime sursaut de sa part pour reprendre le contrôle de la situation, un mois plus tôt, avec un nouveau premier ministre et un gouvernement resserré.

Désormais, le Mouvement populaire pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) avec à sa tête le Lieutenant-Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, assure le pouvoir d’Etat dans un processus de transition.

Nous nous trouvons, une fois de plus, dans une situation de crise politique qui a engendré la chute d’un régime, interrompant ainsi le processus démocratique qui semblait avoir de beaux jours devant lui au lendemain de l’Insurrection populaire de 2014.

Au-delà des considérations politiques partisanes, nous sommes tous unanimes sur le fait que le pays traverse une grave crise sans précédent qui menace même son existence en tant qu’Etat-Nation.  Nous devons donc transformer cette crise en opportunité pour repartir sur de nouvelles bases, afin de restaurer l’intégrité de notre territoire et de poser les bases d’un développement durable.

Quel chemin devons-nous emprunter pour être sûrs de ne pas nous  tromper une de fois de plus ? En d’autres termes, quelles doivent être les priorités de la Transition ?

L’inclusivité du processus de transition

L’un des pièges à éviter dans le processus de transition qui s’annonce est l’exclusion. Depuis la prise du pouvoir par le MPSR, on entend des voix qui s’élèvent pour exiger la mise à l’écart de telles ou telles entités. Les plus visés sont les partis politiques et certains de leurs leaders appartenant à une soi-disant « vieille classe politique ».

L’incapacité du régime sortant à trouver des solutions à la crise sécuritaire qui secoue le pays et la mal gouvernance qui l’a caractérisé ne doivent pas être un prétexte pour incriminer toute la classe politique. Tous les maux qui minent notre pays actuellement ne sont pas le fait des seuls politiciens. Même si les leaders politiques doivent en assumer une part importante, les responsabilités doivent être partagées.

La politique sécuritaire est certes une prérogative du chef de l’Etat, mais sa mise œuvre est de la responsabilité des forces de défenses et de sécurité. Quant à la corruption, elle est un phénomène général dans toutes les sphères de la société.

L’idée selon laquelle il faut balayer « la vieille classe politique » n’est pas nouvelle au Burkina Faso. L’ironie du sort est que cette classe politique que certains, par opportunisme ou par conviction, appellent à balayer, a été elle-même porteuse de cette idée. Pouvons-nous aujourd’hui affirmer que l’idée a porté des fruits pour le développement du Burkina Faso ?  La réponse est tout simplement non.

L’avènement d’une nouvelle classe politique ne garantit pas la moralisation de la politique au Burkina. Ce dont la politique a besoin, c’est un retour aux valeurs fondamentales de la politique telles que l’intégrité, le patriotisme, l’altruisme, le sens du sacrifice et de l’intérêt général.

Ces valeurs peuvent être incarnées aussi bien par des jeunes que des personnes âgées. Même si le renouvellement de la classe dirigeante est nécessaire pour le renouvellement des idées, les autorités actuelles doivent le promouvoir avec lucidité en évitant d’opposer les générations entre elles, et en faisant un savant dosage des deux générations, en vue de garantir la transmission intergénérationnelle des compétences.

Le processus de transition doit prendre en compte toutes les sensibilités du pays pour garantir sa réussite.  Cette inclusivité n’est pas forcément un partage de postes dans un gouvernement ou dans un conseil de transition, mais surtout dans l’écoute, le dialogue et la concertation. C’est de cette façon que nous pourrons réaliser une union sacrée autour de nos forces de défenses et de sécurité dans la lutte contre le terrorisme.

La restauration de l’intégrité territoriale

Le MPSR, comme l’a annoncé le nouveau chef de l’Etat, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba lors son premier discours, sera surtout évalué sur sa capacité à améliorer la situation sécuritaire. La période de grâce dont elle disposera sur cette question sera très courte, au regard des fortes attentes de la population. Elle sera plus exigeante avec les nouveaux dirigeants qui sont considérés comme des « spécialistes » de la défense et de la sécurité.

Les résultats attendus par les populations ne sauraient être le nombre de terroristes neutralisés, ni la quantité de matériels saisis, mais plutôt le nombre de km2 repris aux mains des terroristes, et le nombre de déplacés internes retournés chez eux.

La restauration de l’autorité de l’Etat

La question de l’incivisme qui compromet la mise en œuvre des politiques publiques doit figurer parmi les priorités du nouveau régime. Il est urgent de restaurer l’autorité de l’Etat qui s’est considérablement effritée sous le régime Kaboré. Les nouvelles autorités doivent rompre avec le laxisme et veiller au respect strict de la loi.

Pour ce faire, ils doivent être des exemples de probité morale. Il serait difficile d’exiger des citoyens un comportement exemplaire quand les premiers dirigeants eux-mêmes ne l’ont pas. Il faut adopter le principe de la « gouvernance par l’exemple ». C’est-à-dire que le nouveau gouvernement doit être exigeant envers lui-même avant d’imposer une rigueur à la population. Tout sacrifice ou effort demandé à la population doit être au préalable consenti par les dirigeants eux-mêmes.

La réconciliation nationale

L’une des causes de la crise sécuritaire au Burkina Faso est l’effritement de la cohésion sociale. En effet, la succession des crises politiques, la mal gouvernance, l’inégal accès aux ressources productives, ont constitué un terreau favorable au développement du terrorisme. Pour faire face à ce redoutable ennemi de notre pays qui est le terrorisme, nous n’avons pas le choix que d’être unis. Pour parvenir à cette union, il nous faut panser nos blessures et nous donner la main pour vaincre cette adversité.

La réconciliation apparaît alors comme une nécessité pour le régime du MPSR s’il veut faire de la transition un tremplin pour le développement du Burkina Faso.  Du régime de Blaise Compaoré en passant par la transition jusqu’au régime déchu de Roch Marc Christian Kaboré, la question de la réconciliation a toujours constitué une priorité pour ces différents pouvoirs qui se sont succédés. Si la transition veut se pencher sur la question de la réconciliation, elle pourra bénéficier d’un travail déjà fait sur lequel elle pourra s’appuyer pour parvenir à une réconciliation véritable entre Burkinabè.

Sans pour autant remettre en cause l’évidence selon laquelle les nouvelles autorités doivent changer de paradigme de gouvernance pour sortir le pays de cette situation chaotique, il faut noter que certains acquis du régime Kaboré peuvent servir de bases de travail.

C’est le cas du processus de réconciliation qui avait été entamé dès le début du second mandat de l’ex président à travers la création d’un ministère en charge de cette question.  La particularité de cette démarche adoptée par le gouvernement, qui se veut holistique, est qu’elle tire leçons des insuffisances des démarches précédentes et essaye de trouver des solutions aux problèmes de réconciliation de façon inclusive et participative.

Contrairement à certaines critiques non fondées, la démarche de réconciliation adoptée par le régime sortant est loin d’être un arrangement entre hommes politiques. Fondée sur le principe du triptyque vérité-justice-réconciliation, la démarche a consisté dans un premier temps à identifier sur la base des expériences passées et d’une large consultation, six (06) besoins de réconciliation parmi lesquelles figurent en bonne position la réconciliation sociocommunautaire.

Les problèmes qui ont engendré ces besoins de réconciliation, ainsi que les solutions à apporter à ces problèmes, ont été recensés sur toute l’étendue du territoire national à travers des concertations dans les 378 communes du Burkina.

En plus des concertations, un sondage réalisé par le Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD) a permis de confirmer les tendances dégagées lors des concertations. Les données issues des concertations et du sondage devaient servir à l’élaboration d’une stratégie nationale de réconciliation et d’un pacte de vivre-ensemble.  Ces deux documents, en plus de la stratégie nationale de cohésion sociale et celle de la lutte contre l’extrémisme violent, devraient être présentés au Forum national de réconciliation pour adoption.

S’il est clair que le gouvernement de la Transition doit apporter sa vision de la réconciliation, il n’en demeure pas moins qu’elle va disposer d’une base de travail consistante.

Les réformes à opérer sur le plan politique

La situation que traverse notre pays s’explique en grande partie par l’incapacité de notre système démocratique à répondre aux aspirations du peuple. Le jeu politique tel que pratiqué au Burkina Faso ne peut pas apporter de changement majeur dans la conduite des affaires de l’Etat.

Le clientélisme politique est le mal de la démocratie Burkinabé qu’il faut exorciser aux moyens de profondes réformes. Les réformes à opérer dans ce processus démocratique doivent viser essentiellement à réduire de façon considérable l’impact de la corruption sur le choix des dirigeants lors des consultations électorales. En plus de la moralisation de la classe politique, les réformes doivent également apporter une cure de désintoxication à une grande partie de l’électorat qui a développé une addiction à la corruption et à la recherche du gain facile.

Comme pistes de réflexion, on pourrait évoquer le plafonnement des dépenses de campagnes et la mise place d’un système de veille permettant de dénoncer la corruption pendant les campagnes électorales.

Les partis politiques, dans les cadres des réformes politiques doivent jouer pleinement leur partition à travers des propositions allant dans le sens d’une moralisation de la vie politique au Burkina Faso.

La situation actuelle du pays nous offre une nouvelle occasion de prendre un nouveau départ dans la construction de notre pays. Au-delà de l’échec d’un régime, la grave crise que nous traversons est l’échec de tout un système que plusieurs leaders politiques, militaires, coutumiers et traditionnels, religieux, du monde des affaires et de la société civile ont contribué à créer et à entretenir à des degrés divers. Vouloir tenir la classe politique pour unique responsable de la situation, c’est trouver un bouc émissaire pour se donner bonne conscience.

Les nouvelles autorités, qui ont la lourde tâche de remettre le pays sur le bon chemin, doivent faire preuve de modération, de tolérance et surtout d’imagination. Elles doivent éviter tout esprit de règlement de compte et tirer les leçons du passé pour écrire une nouvelle page glorieuse de notre cher Faso.

Elle doit se garder d’écouter ou d’appliquer les idées extrémistes de certaines personnes ou organisations qui voient en cette nouvelle situation une occasion rêvée d’ascension sociale. Elle doit plutôt être à l’écoute de toutes les composantes de notre société, afin de ne pas laisser sur le bord de la nouvelle route qu’elle doit tracer et emprunter, une composante de la société.  Nous devons tous saisir cette ultime occasion pour prendre un nouveau départ vers la paix, la sécurité et le développement.

Eric Stéphane P. ZONGO, économiste

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