Déclaration de 11 organisations de la société civile sur la situation nationale
C’est avec une profonde affliction que nos organisations font l’amer constat de ce que la situation nationale reste indéniablement marquée par la crise sécuritaire imposée à notre pays, avec son lot de drames et de désolation.
Ces trois derniers mois, nous avons à nouveau enregistré de nombreux blessés et perdu des éléments de nos Forces de défense et de sécurité (FDS), des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) ainsi que des civils, lâchement tués par des hordes sauvages qui écument nos villes et campagnes, depuis bientôt une dizaine d’années.
Récemment encore, le week-end du 24 au 25 février 2024 notamment, dans ses régions du Nord et de l’Est, notre pays a été endeuillé par des tueries à très grande échelle ayant occasionné des centaines de morts d’éléments des FDS, de VDP, ainsi que de très nombreuses populations civiles. Plusieurs autres attaques ont été, par la suite, notées par nos organisations ; ce qui dénote du caractère délétère de la situation sécuritaire actuelle de notre pays.
En ces moments extrêmement douloureux et préoccupants pour la nation entière, nos organisations saluent respectueusement la mémoire des victimes, présentent leurs condoléances aux familles des disparus et souhaitent un prompt rétablissement aux blessés. Elles encouragent les FDS et les VDP qui, au prix d’énormes sacrifices, assurent la sécurité des Burkinabè.
Ces dures épreuves ne devraient en aucun cas, émousser l’esprit de résilience, à fortiori entamer l’engagement du peuple burkinabè à vaincre l’hydre terroriste qui, voilà bientôt dix ans, endeuille nos villes et campagnes.
Hélas, alors qu’elle constitue une condition sine qua non pour la victoire contre les forces du mal, la cohésion nationale tant souhaitée par les Burkinabè, est quotidiennement mise à rude épreuve par des actes de gouvernance sociopolitique négatifs, en total déphasage avec cette nécessité de l’heure.
En effet, le constat fait de la division systématique des Burkinabè en deux catégories (les « patriotes » et les « apatrides ») constitue l’autre élément de préoccupation majeure du moment. Une division stigmatisante, généralement sous-tendue par des menaces de toute nature proférées par des groupuscules instrumentalisés, des arrestations et détentions arbitraires, des enrôlements forcés à des fins de traitements inhumains et dégradants de toute voix émettant une opinion critique négative sur la gestion actuelle du pouvoir d’Etat.
Aujourd’hui encore, il est ainsi loisible de constater qu’à la suite de la décision du Tribunal administratif de Ouagadougou en date du 06 décembre 2023 (suspendant l’ordre de réquisition de Rasmané Zinaba, Bassirou Badjo et Issaka Lingani), les ordres de réquisition jadis servis à la tête du client, semblent avoir fait place à une pratique tout aussi nocive et dangereuse qui a cours et s’amplifie en ces moments : celle d’arrestations de citoyens (parfois en pleine rue) par des individus vêtus de tenues civiles, encagoulés ou se présentant à visage découvert comme étant des éléments des Forces de sécurité intérieure (FSI).
S’opérant au mépris de toute procédure régulière prescrite par les lois et règlements de la République, ces pratiques ne constituent ni plus ni moins que des enlèvements, ainsi que les qualifient à juste titre nos organisations et l’opinion publique nationale et internationale.
En rappel, l’article 3 de la Constitution du Burkina Faso dispose que « nul ne peut être privé de sa liberté, s’il n’est poursuivi pour des faits prévus et punis par la loi » et que « nul ne peut être arrêté, gardé, déporté ou exilé qu’en vertu de la loi ».
Or, les personnes enlevées le sont généralement sans motif officiel déclaré et sont détenues dans des lieux tenus secrets par leurs ravisseurs.
Il souviendra à tous les Burkinabè que le vendredi 21 octobre 2022, devant les membres du Conseil constitutionnel, le chef de l’Etat a solennellement pris l’engagement de respecter et de faire respecter la Constitution, en jurant devant le peuple burkinabè et sur son honneur, « de préserver, de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution, la Charte de la transition et les lois. De tout mettre en œuvre pour garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso ».
Bien qu’ayant été récemment révisée, notre Constitution n’a ni modifié, à fortiori retiré les dispositions de l’article 3 sus-citées de son corpus. Ces dispositions continuent donc de proscrire les violations des libertés individuelles et collectives, les arrestations arbitraires, les enlèvements et autres disparitions forcées.
De ce fait, il apparaît impératif que soit respecté le serment du chef de l’Etat, au nom des principes de l’Etat de droit, et que cessent ces enlèvements de citoyens burkinabè en totale violation de notre Constitution et des lois de la République.
De la longue liste de personnes (anonymes et connues dont l’expert en sécurité informatique Younoussa Sanfo) ainsi enlevées, nos organisations avaient, dans un communiqué publié le 29 janvier 2024, suite à la tentative d’enlèvement de Moussa Diallo, secrétaire général de la CGT-B, cité quelques noms dont ceux de :
El hadj Mahamoudou Diallo, imam de la mosquée de Sikassossira,
Anselme Kambou, opérateur économique ;
Wahabou Drabo, ministre des sports sous le MPSR I ;
Docteur Daouda Diallo, secrétaire exécutif du CISC ;
Idrissa Kaboré, habitant de Pouytenga ;
Docteur Ablassé Ouédraogo, président du parti Le Faso Autrement ;
Lamine Ouattara du MBDHP ;
Maître Guy Hervé Kam, avocat à la Cour et coordonnateur du mouvement SENS.
Depuis, les agents commis aux enlèvements et arrestations arbitraires ont allongé cette liste, avec l’enlèvement de Rasmané Zinaba et de Bassirou Badjo, respectivement les 20 et 21 février 2024 et l’arrestation, le 19 mars 2024, de Gérard Ismaël Sanou, secrétaire général du Mouvement Sauvons la Kossi (MSK).
Ces commis aux enlèvements semblent également avoir dorénavant mis le cap sur les campus universitaires de Ouagadougou avec l’enlèvement, fin janvier 2024, de Issaka Ouédraogo, Alexis Nacoulma, Ousmane Tou et Seydou Sawadogo, et ceux de Paul Damiba et Hamidou Savadogo, tous deux délégués de promotion à l’UFR/SVT, mi-février 2024.
A ces enlèvements récurrents, s’ajoute la défiance ouverte de l’autorité judiciaire par les tenants actuels du pouvoir, avec le refus d’exécuter des décisions de justice, comme celles ordonnant d’une part, la suspension de l’ordre de réquisition de Rasmané Zinaba, Bassirou Badjo et Issaka Lingani et d’autre part, la libération de Anselme Kambou et de Maître Guy Hervé Kam.
Il est temps que cela cesse ! Car, quand bien même serions-nous en situation de guerre, il importe de ne point en tirer prétexte, mais plutôt de veiller à ce que ne soient point remis au goût du jour, les pratiques des régimes d’exception d’antan, contre lesquelles le peuple burkinabè s’est vaillamment battu.
Avec de telles pratiques, suscitant rancœurs et aiguisant des sentiments de haine et de vengeance, les appels à l’union des forces des filles et fils du Burkina pour lutter contre le terrorisme risquent hélas d’être et de demeurer vains.
C’est pourquoi, nos organisations, tout en réitérant notre ferme condamnation des attaques terroristes, lâches et barbares contre notre peuple :
1) Dénonçons et condamnons la pratique des enlèvements de citoyens, qui ouvre la voie à toutes les dérives possibles ;
2) Appelons instamment le gouvernement à :
respecter et faire respecter l’ensemble des dispositions de la Constitution, comme le chef de l’Etat lui-même a pris l’engagement, lors de sa prestation de serment, le 21 octobre 2022 ;
faire procéder à la libération sans délai ni condition de toute personne illégalement arrêtée et arbitrairement détenue au regard de la loi ;
faire proscrire définitivement la pratique des enlèvements de citoyens et de leur détention illégale ;
asseoir une stratégie de lutte antiterroriste qui favorise une large adhésion et une implication effective et efficiente des populations sur l’ensemble du territoire national ;
veiller, dans ce contexte de lutte contre le terrorisme, à conformer les pratiques des forces de défense et de sécurité aux principes des droits humains et aux règles de l’Etat de droit, afin de favoriser la nécessaire collaboration des populations, pour la victoire et la reconquête totale du territoire national ;
prendre des mesures spéciales et rigoureuses de protection des populations civiles, aussi bien contre les attaques des groupes terroristes que contre toute dérive de FDS et/ou de VDP.
3) Encourageons fortement la Justice à enregistrer et traiter sans faiblesse, toute plainte pour enlèvement et détention arbitraire de citoyens ;
4) Appelons à nouveau nos militants et sympathisants, ainsi que toute personne soucieuse du respect des droits humains à se mobiliser contre les enlèvements, détentions arbitraires et disparitions forcées de citoyens, pour la préservation des libertés démocratiques chèrement acquises.
- NON AU TERRORISME, SOURCE DE VIOLATION DES DROITS HUMAINS !
- POUR LA MISE EN ŒUVRE D’UNE POLITIQUE INTELLIGENTE ET RESPONSABLE DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME, MOBILISATION ET LUTTE !
- Ouagadougou, le 27 mars 2024
Ont signé
Association des Journalistes du Burkina (AJB)
Association Kébayina des femmes du Burkina
Balai Citoyen
Coalition Nationale de lutte contre la vie chère, la corruption, la fraude, l’impunité et pour les libertés – Section de Ouagadougou (CCVC/Ouaga)
Comité de Défense et d’Approfondissement des Acquis de l’Insurrection Populaire (CDAIP)
Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD)
Centre d’Information et de Documentations Citoyennes (CIDOC)
Collectif contre l’Impunité et la Stigmatisation des Communautés (CISC)
Centre National de Presse Norbert ZONGO (CNP/NZ)
Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP)
Réseau National de Lutte Anti-Corruption (REN-LAC)
Crédit photo : Archives Oméga Média